Bacchus peut dormir tranquille, la terre continuera de saigner, de ce sang de la vigne dont il était le garant et le protecteur. Et si Dionysos — son pendant grec et comme lui, Dieu de l’ivresse, des débordements et de la nature si cher à Nietzsche et arme absolue du philosophe allemand pour s’opposer à la froide beauté apollonienne — n’est plus que souvenir d’une civilisation aujourd’hui disparue, les plaisirs convoqués à la seule évocation de son nom continueront longtemps de couler dans les gorges et chatouiller les palais.
Une vigne, c’est une terre, un travail, du courage, un brin de folie et bien d’autres choses encore. De ces choses qui ne se disent pas ou qui ne s’expliquent pas, qui n’ont de sens que dans le ressenti. Car, ne nous y trompons pas, si vigneron reste une science, une chimie et le labeur de toute une année, l’inspiration tient une place déterminante. Certes, le savoir-faire demeure une donnée indispensable. Mais entre effeuillage, ébourgeonnage et assemblage, se glisse la patte d’un artiste qui va faire d’une grappe une cuvée, d’une terre un terroir. Et du sang d’un fruit un nectar.
Suivre durant toute une année le travail de Yann de Agostini, aura été une expérience des plus précieuses. Une terre vierge juste labourée que l’on perce pour y glisser les greffons qui deviendront ceps, alignés avec rigueur et forts d’une beauté qu’Apollon n’aurait pas renié ; tuteurés comme des enfants que l’on guide jusqu’à leur majorité ; arrosés pour bien grandir ; effeuillés et ébourgeonnés pour leur garder force et vigueur. Naîtront alors les grains charnus et sucrés que seul ce supplément de sourire et l’amour indéfectible de la belle ouvrage est capable d’offrir. Jusqu’aux vendanges, gorgées de joie et de bonne humeur. Le reste se passe dans les cuves et dans la tête du vigneron un temps devenu sorcier, à moins qu’il ne soit Dionysos lui-même, assembleur de parfums guidé par l’envie du travail bien fait et de la création accomplie.
Ce livre est le reflet de cet échange, un noir et blanc tout en couleur qui agite le simple témoignage d’un cycle annuel calé sur la tradition et l’amour de la terre.